
A l’image de Sa Sainteté le Pape François qui s’est exprimé sévèrement avant Noël sur les maladies dont souffre son gouvernement, je me suis permis de réfléchir, bien plus modestement, aux maladies dont souffre notre pauvre Belgique, (j’en ai retenu six) et, pour rester positif, aux remèdes qu’il faut absolument lui apporter.
La maladie particratique
La maladie du racisme linguistique
La maladie du travail non-productif
La maladie de la fiscalité destructrice
La maladie de l’anémie identitaire
La maladie du neutralisme moral
1° La maladie la plus grave en terme de gouvernance est, à l’évidence, celle dont on parle trop peu : la pernicieuse évolution de notre régime de monarchie parlementaire qui fut remarquablement démocratique, vers une oligarchie de type particratique qui ne l’est plus.
La Belgique est dirigée aujourd’hui par les chefs d’associations de fait qu’on appelle partis, chefs que le citoyen belge n’a pas élus, partis sur lesquels il n’a aucun contrôle, mais qui sont richement financés par nos impôts. Sous influence de divers lobbies, dont les principaux sont des syndicats également incontrôlables bien que tout aussi richement financés par le peuple, ces dirigeants décident entre eux de ce qui est bon pour nous. En 1831 notre Constitution prévoyait que le Parlement (pouvoir législatif souverain) dicte la politique et surveille son exécution par le Ministère (pouvoir exécutif nommé par le Roi). Aujourd’hui ce sont les chefs de partis qui ont « leurs » ministres au sein de divers gouvernements qui suivent encore (pour combien de temps ?) une sorte de rite démocratique en faisant voter les membres de sept (7 !) parlements différents. Ce sont ces mêmes chefs de partis qui contrôlent tout le processus électoral en ayant la haute main sur l’ordre des candidats dans « leurs » listes, en s’attribuant un monopole des moyens nécessaires à faire campagne, ainsi que celui de l’indispensable accès aux médias etc. Et comme si ça ne suffisait pas, un seuil d’éligibilité est venu récemment protéger encore davantage les partis en place contre les velléités de concurrence électorale de nouveaux venus. Tout ce qui fait obstacle au pouvoir des particrates doit d’ailleurs se soumettre, et c’est ainsi qu’on enregistre tous les jours des attaques frontales ou détournées contre les pouvoirs du roi, contre tout ce qui tient à la monarchie et même à la famille royale.
Pour en guérir, le problème n’est pas de désigner les remèdes ; ils sont évidents : il faut casser tous les mécanismes qui permettent aux dirigeants de partis de mener le jeu, oser toucher au processus électoral, leur couper les vivres, contrôler leurs comptes, mettre tout candidat légalement inscrit sur un pied d’égalité total avec chacun des autres face au scrutin, créer une période d’inéligibilité pour les membres de l’exécutif sortant, favoriser la nomination par le roi de ministres non parlementaires, instaurer le référendum comme la consultation populaire etc. etc. Mais la grande difficulté, et c’est ici la gravité de la dérive d’un régime, est de savoir comment imposer ces mesures. Elles devront en effet être prises par un système qui n’a aucun intérêt à les adopter.
2° La maladie la plus lourde dont souffrent les institutions belges est évidemment le racisme linguistique qui a été légalement accepté puis imposé depuis des décennies.
Nous n’allons pas revenir trop longuement ici sur la division de notre petit pays en deux sous-nations parfaitement artificielles et antagonistes basée sur des mensonges historiques et culturels, des aberrations géographiques, économiques et sociales, et des combats populaires d’un autre temps. Nous y avons perdu l’essentiel de nos énergies pendant trop longtemps pour des coûts économiques et financiers incalculables. La guérison ici est plus que problématique mais elle devra passer, à mon sens, par la logique de l’interdit des discriminations. Il suffirait d’abolir toute discrimination linguistique dans notre Constitution, dans nos lois et règlements, comme on l’a fait très justement pour la race, la religion, le sexe etc. On pourrait également laisser aux communes les décisions utiles en matière d’utilisation des langues par les pouvoirs publics. Mais cette « exception belge » en matière de racisme repose sur des blessures profondes et il faudra sans doute attendre la montée d’une nouvelle génération de dirigeants, surtout dans les rangs néerlandophones, pour espérer ce retour à la sagesse.
3° Je viens de décrire dans un billet précédent la maladie du travail non productif.
Je vous y renvoie donc en ne rappelant ici que l’essentiel : la Belgique n’a qu’une seule richesse : le travail des Belges. Pour être une richesse il est évident que le travail se doit d’être productif. Hélas, des générations de socialisme dévoyé nous ont apporté à profusion un véritable cancer sur le plan économique : le travail non productif. Le travail non productif est celui qui, sous prétexte de la nécessité (évidente) d’organiser notre société, veut régenter le travail productif, veut organiser tous les secteurs de la société, régler toutes nos activités et finalement gérer nos vies. Mais le travail non productif est une charge et un luxe et, pour notre malheur, il est invasif par nature. Il a déployé ses tentacules chez nous, sans doute plus que dans tout autre pays, jusqu’à étouffer sous les règlementations, la paperasserie, les charges et les coûts, ce qu’il était censé protéger et défendre : le travail productif. Le programme d’urgence de tout gouvernement qui prétend vouloir le bien commun est d’arracher partout où il apparaît le chiendent du travail non productif. Il ne s’agit pas d’une petite besogne. Il s’agit de régénérer l’ensemble de nos terres économiques et sociales, afin de les débarrasser de toute forme de parasites et de charges qui les rendent impropres au travail productif.
4° La masse financière des « transferts » de la main du particulier aux caisses des pouvoirs publics et para-publics a atteint dans notre pays des records mondiaux dont nous ne calculons pas assez les conséquences. C’est la maladie de la fiscalité destructrice.
Resituons brièvement les chiffres (repris d’un billet précédent): Prenons un travailleur dont le salaire net est de 1.000 € (pour simplifier l’image). Comme nous l’a encore répété il y a peu, dans un débat télévisé, un éminent professeur de Solvay, ce salaire net représente 40% du produit d’un travail qui aura été préalablement amputé de 30% de charges et de 30% de précompte, soit un total brut de 2.500 €. En utilisant ses 1.000 € l’ouvrier va devoir payer de la TVA sur tous les produits et services, des accises (énormes) sur son essence, des cotisations spéciales ou des frais administratifs de tous genres, tant et si bien que de ses pauvres 1.000 €, il n’aura pour lui, comme réel pouvoir d’achat, que 800 € au grand maximum. Le bilan est donc clair : son travail a produit 2.500 € mais ceux-ci ne lui donnent que 800 € de libre pouvoir d’achat net réel. Plus des 2/3 du produit de son travail lui sont retirés sans qu’il ne puisse rien y faire. Voilà la réalité que nous vivons aujourd’hui dans notre société que certains ont encore l’audace d’appeler libérale.
Il est facile de comprendre les conséquences économiques d’une telle situation, la fuite des cerveaux et le manque d’appétit des investisseurs. Il est plus important de comprendre les conséquences morales de cette situation qui engendre irresponsabilité, tentatives bien compréhensibles de fraude face à une contribution ressentie comme une confiscation, et exigences aveugles de tout, tout de suite et gratuitement, de ceux qui ont le sentiment (exact bien que diffus) d’avoir déjà tout payé par avance.
Heureusement la lutte déterminée contre le travail non productif dont question ci-dessus, et donc également contre les dépenses inconsidérées des pouvoirs publics et para-publics, devrait permettre une diminution considérable de la pression fiscale pour tous et pour chacun.
5° La maladie de l’anémie identitaire :
Notre Belgique, petit pays au passé trop glorieux, souffre depuis la fin des années soixante, d’une sorte de complexe mortifère qui voit beaucoup de nos concitoyens feindre le cynisme et l’autodérision pour mieux dénigrer le pays et la moindre ses prétentions. Cette faiblesse de caractère se traduit même chez la plupart des commentateurs patentés par une tendance à nier toute identité à la Belgique et donc aux Belges. Pourtant il n’est pas difficile d’observer comme, à la moindre occasion, ce besoin d’identité s’affirme dans toutes les classes sociales du pays sans plus question de frontière linguistique (ne fût-ce qu’à l’occasion d’une coupe du monde de football par exemple).
Ce manque de fierté de notre identité, ce manque de « colonne vertébrale » n’est pas innocent. Il rend évidemment le pays plus malléable face à un pouvoir qui peut le modeler plus aisément selon son bon vouloir. Il ouvre également la porte sans la moindre résistance à une immigration incontrôlée qui, sans commune mesure avec celles des générations précédentes, ne peut ni ne veut plus s’assimiler. Ceci, ajouté à la nature prosélyte d’un islamisme violent, pose un problème social primordial qui s’accroit tous les jours, mais dont il est tout simplement interdit de parler, sous peine d’ostracisme ou même de poursuites pénales.
Le remède, ici, au-delà de l’arrêt indispensable de toute immigration non désirée, passe aussi par l’éducation, l’enseignement de notre histoire, de notre culture, la fierté de nos réalisations, la remise à l’honneur du patriotisme, de notre amour de la liberté (voyez nos fiers beffrois !) et de l’ouverture sur le monde de la nation-carrefour qu’est la Belgique au cœur de l’Europe.
6° Enfin terminons par le plus grave : la maladie du neutralisme moral.
Je ne sais si cette évolution est due à une volonté politique ou si celle-ci n’a fait qu’en profiter, mais nous avons assisté dans notre pays (comme dans beaucoup d’autres en Occident) à l’alliance politique de deux matérialismes, celui de l’affairisme à faux nez libéral, et celui du socialisme utilitariste à la recherche d’un second souffle. Nous avons ainsi connu les victoires du relativisme moral et de la neutralité philosophique obligatoires, niant sans hésiter l’existence même de valeurs universelles, voulant reléguer toute religion à la sphère strictement privée, mais s’imposant eux-mêmes sans scrupule comme un dogme nouveau, unique et absolu. C’est ainsi que, le bien n’étant plus le bien, ni le mal, le mal, l’amour est réduit au sexe, qui lui-même devient très relatif, la liberté se confond avec le confort et le plaisir, les vertus sont ridicules, la vie même n’est défendue que lorsqu’elle ne gêne pas, et la famille, creuset naturel de ces valeurs qu’il faut nier aujourd’hui, est détruite systématiquement et volontairement dans les lois comme dans les relations et structures sociales.
Il est évident que nous sommes ici face à un « mal du siècle » qui s’est propagé dans presque toute l’Europe à l’exception notoire de certains pays actuellement épargnés grâce à une empreinte chrétienne plus solide qu’ailleurs et aussi, sans doute, à des circonstances économiques et sociales moins confortables et donc moins susceptible de mollesse morale.
Il faudra du temps pour en sortir et casser cette décadence mortifère. Un sursaut a déjà fait bouger la France grâce aux maladresses d’un pouvoir stupide et volontiers méprisant. Des manifestations historiques sont à l’origine de mouvements nouveaux et originaux qui partagent ce même diagnostic et ne sont pas près de s’épuiser. De plus en plus se ressent dans les opinions publiques le besoin profond de dépasser le matérialisme étouffant du système actuel… Il y a donc motifs à espérer et l’avenir n’est pas aussi noir que la gravité du mal pourrait le faire croire.
C’est cette lueur d’optimisme que je veux voir dans les vœux qu’exprime le Beffroi à tous ses amis pour cette année 2015.
Pascal de Roubaix
Excellente question ! Il y a, à mon sens, trois adresses :
1° Tous les beffrois du pays (même là où il n’existent plus), pour l’autonomie, la proximité du pouvoir et de la loi.
2° Toutes les écoles pour l’instruction, l’apprentissage de notre histoire et des règles de vie.
3° Toutes les familles comme autant de creusets pour l’éducation et l’apprentissage du don de soi.
Fernand Schmetz
Merci de donner un programme pour cette nouvelle année. Vous posez des diagnostics et vous prescrivez des remèdes. Un peu comme un médecin. Il suffit alors de se rendre à la pharmacie pour recevoir les remèdes. Juste une question : Pourriez-vous me donner l’adresse du pharmacien ?
Pascal de Roubaix
Message de Dominique Bouckaert-Schockaert passé par Linkedin
Votre analyse et vos paroles sont très sages et fondées.
Il est grand temps de réintroduire les valeurs universelles au quotidien dans tous les secteurs de la vie et à l’école.
S’ouvrir à l’autre sans perdre les fondements de notre identité culturelle, religieuse et linguistique est essentiel.
Il y a du pain sur la planche!!!
Heureuse année Pascal…
lafforest
merci pour votre analyse ! En tant que Français,au service des Belges durant vingt ans,j’ai souvent exhorté ces mêmes belges à cesser de s’infliger un ‘complexe’ d’infériorité (en particulier vis-à-vis des français, plus précisément réductibles à la minorité arrogante des parisiens de la cinquième république). J’ai été plus d’une fois attristé de voir,par exemple,la langue anglaise utilisée au détriment du Flamand et du Français, sous prétexte de ‘consensus’…
La Belgique est un pays petit par la superficie,mais grande par le Roi qui a librement sauvé des belges aujourd’hui vivants, dont l’existence,grâce à lui,n’a pas été ‘interrompue= supprimée’…
Emmanuel d'Hoop de Synghem
Vous appelez de vos voeux la sortie de la Belgique du cloaque et le recouvrement d’une démocratie plus authentique. Nous aussi. Allons donc voir où cela fonctionne à peu près correctement, en tout cas infiniment mieux que partout ailleurs: en Suisse. En plus de deux langues d’importance mineure, deux communautés culturelles, l’une germanique l’autre latine. Cela vous rappelle quelque chose? Poursuivons.
Vous laisser entendre que sept parlements c’est déjà trop. Ah bon? En Suisse, il y a en a 26. Vingt six!
Qui dit démocratie dit application du principe de subsidiarité, ou encore action locale. Pourquoi ne pas considérer nos dix provinces (plus la Bruxelles fédérale) comme autant d’entités lesquelles ont dans les faits autant d’intérêts particuliers. Cela résoudrait une grande partie du problème linguisitique et à l’image de la Suisse, cela induirait une saine concurrence, qu’elle soit fiscale, économique, etc… En effet, à part la langue, le Limbourg et la Flandre Occidentale ont-ils tant en commun? Ou encore entre le Hainaut et Liège?
Concrètement, mettez un tel scénario de Confederation Belge en regard des cinq premières maladies telles que les avez exposées si excellemment: ne peut-on pas y voir une chance de régression sinon de guérison?
Quant à la dernière maladie, bien d’accord pour dire que c’est la plus grave sans aucun doute, souvenons-nous qu’un gouvernement local, les entourloupes en tous genre étant plus difficiles à masquer car plus proches donc plus visibles des citoyens, est par nature plus incitatif à la pratique de la vertu. Là encore, une saine émulation entre Etats peut s’en suivre.
André de Failly
Assez d’accord pour tout, avec quelques ajouts.
1)Poison n°1; ‘Frans is de vijand’
Peut être que cette idée fixe flamando-flamande se révèlera finalement absurde, pour les nouvelles générations de nos voisins du Nord.Ouf; la délivrance, peut-être.
2)L’industrialisation ‘féroce’ du début du siècle passé, devait absolument être tempéré par… le socialisme. Au fil des ans, ce socialisme est devenu tout massif, communisant et omnipotent. Seuls le savoir, l’éducation, l’intelligence et le bon sens peuvent tempérer et nuancer ce lourd et ruineux ‘mauvais esprit’ du lambda socialiste.
3)’Ce pays, ce pays’,… qui est le nôtre, n’est plus notre fierté. Il a été trop trituré en tous sens pour être encore attachant et digne de nos quelconques générosités.(perso)
4)Le Beffroi a raison d’espérer. Quelques petites loupiotes d’idées nouvelles s’aperçoivent ça et là…en France . Des citoyens s’efforcent de redresser, de corriger, de conserver, de comprendre et de raccommoder, En Belgique aussi, peut-être, si les belges parvenaient à mieux s’exprimer.
Autrement qu’en belge.
5)Le belge d’occase que je suis, est obligé de reconnaitre que les flamands vont de l’avant depuis bien longtemps. S’il y a une élite belge,…elle est désormais chez eux.
Et toc.
Notre élite à nous, se cache ou se dispute.
Pascal de Roubaix
Voici la réaction de Michel de Kemmeter, en forme d’article parallèle sur un autre blog: http://uhdr.wordpress.com/2014/12/31/maladies-salutaires-de-la-belgique/
Evrard d'Ursel
Je partage entièrement votre vue des choses, excepté votre optimisme liminaire. Les choses en sont à un point de non retour, car, à moins d’une révolution toujours destructrice, ceux qui ont aujourd’hui le pouvoir ne vont sûrement pas se tirer une balle dans le pied. Le malheur est que les politiciens ne raisonnent plus en termes d’intérêt des citoyens, mais ne comptent que le nombre de voix que leur décisions peuvent rapporter.
Coget Philippe
Bravo pour votre article. Une synthèse parfaite de ce que beaucoup de belges ressentent depuis de trop nombreuses années. Un vent de fraicheur et d’espoir avant de débuter une nouvelle année.
Alexandre de Mahieu
Bonne analyse. Mais notre pays guérira-t-il de ces maladies ? Sur son lit de mort peut-être, quand il sera presque trop tard.