Cette crise est d’abord celle de la vertu.

Depuis des mois, mille et un articles se répandent en commentaires plus ou moins pessimistes sur « la crise » ses causes et ses conséquences. Tous parlent d’analyse et de solutions économiques et financières.

Une vidéo à succès passe pendant ce temps sur internet pour nous expliquer comment une des plus importantes institutions financières du monde, Goldman Sachs, manipule les informations, les chiffres et les marchés, sans l’ombre d’un scrupule, et sans le moindre remord pour les victimes que font ces manœuvres inavouables. Ici, les plus sévères nous parlent de l’incurie des lois et des tribunaux face aux enjeux financiers de niveau mondial. D’autres, malgré les conséquences dramatiques pour des milliers de gens, conservent une sorte de crainte respectueuse et même admirative pour cette puissance organisée au-dessus des lois et des pouvoirs judiciaires et politiques.

On apprend aussi, ces derniers jours, qu’un célèbre milliardaire français voudrait obtenir la nationalité belge. Ici aussi tous les commentaires partagent ce même mélange de critique sur le principe mais aussi d’admiration inavouée pour la puissance de l’argent.

Je ne sais pas si vous le sentez comme moi, mais tous ces sujets qui tournent autour des crises économiques et financières que nous traversons et dont beaucoup ne voient pas encore la fin, semblent passer à côté, ne pas oser ou ne pas vouloir aborder le sujet qui me paraît pourtant central : celui de la responsabilité personnelle et donc de la conscience morale de chacun des acteurs. Il ne s’agit pas d’essayer de trouver des coupables en dénonçant l’un ou en épargnant l’autre, mais il s’agit, pour en éviter sa répétition à l’avenir, de préciser la cause première de cette trop forte tempête.

Je pense que la cause première de toute cette crise est, très simplement, un manque total de vertu de la part de l’ensemble des intervenants.

Je crois que la génération des responsables actuels a subi, depuis ces dernières décennies, une forme de lobotomie morale, en ce sens que les tenants du relativisme ont réussi à détruire, dans les cerveaux de la majorité, cette vertu de prudence qui doit gérer nos choix en fonction de ce qui est bien et de ce qui est mal. Quand on relativise le bien comme le mal, et qu’à la moindre résistance des gens de bon sens on hurle au retour de « l’ordre moral » (comme je l’ai entendu de la bouche de notre Premier Ministre lui-même) il ne faut pas venir se plaindre que celui qui est en position dominante, et même chacun dans la mesure de ses moyens, en profite sans scrupule, et sans même y voir malice.

Entendons-nous bien, je ne viens pas ici dénoncer la conduite de tel ou tel responsable. Je dénonce le principe même de l’abandon général, du boycott ai-je envie de dire, de toute référence au bien ou au mal et donc à l’oubli jubilatoire de toute vertu. Je pense que c’est là que blesse le bât de notre société d’inconscients.

Et je ne dis pas cela pour jouer les pères la vertu ni le dévot outré. Je crois que la vertu est une donne indispensable à l’économie de marché, à l’économie libre et, en réalité, à la liberté tout court.

Comme je le répète à plaisir : dès que deux personnes se rencontrent, se crée entre elles, que le veuillent ou non tous les démocrates-chrétiens de la terre, une relation de marché. A l’évidence, cette relation exige de la transparence. Il est indispensable que l’un sache ce que l’autre apporte et ce qu’il attend. Ceci exige donc de l’honnêteté et le sens de la justice pour partager les obligations réciproques.

Cette relation de marché est à la source de tout projet, de toute entreprise humaine. Or, contrairement à ce que des esprits faibles essaient de nous faire croire, le profit n’est pas le but d’une entreprise. Le profit n’est jamais le but, pour la bonne raison que le profit est un moyen, un carburant, certes indispensable, mais un carburant au service d’un projet humain. Si l’entreprise ne repose pas sur un projet et la force nécessaire à le mener, elle n’a ni sens ni avenir. Pour éviter que le profit ne règne en maître, comme c’est devenu le cas actuellement et qu’il ne tue l’entreprise (c’est toute la crise actuelle), il faut d’abord la force de mener un projet, la prudence pour exercer les bons choix et beaucoup de tempérance pour résister aux sirènes de l’argent facile.

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais je viens de vous citer les quatre vertus cardinales qui doivent encadrer notre conduite si l’on en croit non seulement le catéchisme romain mais, plus généralement, toutes les morales du monde : la prudence, la justice, la force et la tempérance.

Je puis donc résumer mon propos en un aphorisme des plus simples :

Sans vertu pas de marché ; sans projet pas d’entreprise ;

Sans projet vertueux pas de liberté.

Pascal de Roubaix

Vice- président de l’Institut Thomas More.

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7 commentaires à propos de “Cette crise est d’abord celle de la vertu.”

  • Emmanuel d'Hoop de Synghem

    Votre analyse ne manque pas de souffle et va dans le bon sens. Néanmoins, il me semble que vous trébuchez sur la manière d’aborder et de définir la notion de profit. En effet, se contenter de dire que le profit est “un carburant” n’est pas suffisant et vous manquez ainsi l’occasion d’aller plus loin.

    Je pense qu’il faut être plus précis. En effet, savoir mesurer l’efficacité de toute entreprise humaine est incontestablement essentielle faute de quoi cette entreprise n’a pas lieu d’être. “Ni sens, ni avenir”, comme vous le dites très justement. Le profit est la jauge qui indiquera le degré d’efficacité de cette relation de marché. Comme toute jauge, celle-ci est calibrée par une zone orange, verte et rouge.

    L’étendue de ces couleurs doit être laissée à la libre appréciation de l’entrepreneur, appréciation qui sera guidée, elle aussi, elle surtout, par la pratique des quatre vertus cardinales.

    Si le but de l’entreprise consiste évidemment à répondre à un besoin, le profit permettra de déterminer si la réponse est adéquate. En réalité, le but ultime de cette relation de marché est nécessairement un enrichissement mutuel.

    Si le profit n’est pas le but, il est néanmoins l’instrument central. Alors, l’usage de formule-bateau telle que “le profit règne en maître”, emprunté à la sémantique de nos adversaires, ne fait qu’alimenter une ambiguïté très peu souhaitable en la circonstance.

  • h de dorlodot

    Chers amis

    Pour aider la vertu à reprendre le dessus dans notre société ou le renard libre cotoie la volaille libre, je vous suggère de lire le modèle politique lié au tirage au sort des mandataires et repris par Etienne Chouard (faites l’effort de le lire c’est assez vertueux) En effet reconsidérer l’homme avant toute organisation est peut être une des clefs de notre avenir.
    A propos d’une réflexion d’un participant à ce forum faisant allusion à la chute d’un météorite il y a quelques 60 millions d’années, je ne puis que lui conseiller de lire le livre de I Velikovsky MONDE EN COLLISION, ou relire l’histoire au niveau mondial de l’époque de la chute de l’empire romain en 542 et celle de la fin du moyen age, (14°s°- 1340) pour peut être comprendre que le temps n’est pas nécessairement linéaire et que 60 millions d’années peuvent se réduire à quelques centaines, voire un millier…
    Félicitation pour cette initiative ‘Le Beffroi’ et son forum
    La démarche coopérative et participative éduque le citoyen à la vertu; des structures existent en Europe où l’on a recensé, 2012 année des coopératives http://www.un.org/fr/events/coopsyear/, 160.000.000 de coopérateurs; un modèle à suivre
    Citoyennement vôtre

  • J.L. Couvreur

    Monsieur de Roubaix, cher Pascal,

    Je suppose que vous ne vous attendiez à rien d’autre de la part de notre “premier sinistre”, qui est un pur produit de mai 68. En défendant sa culture décadente bec et ongles à l’image des derniers empereurs romains, il fonce droit dans le mur avec un énorme cynisme : “Après nous, le déluge”. On se soucie de l’avenir de la terre mais on se fiche de l’avenir de l’homme…

    Quant à la “relation de marché”, il s’agit plutôt de savoir “comment faire pour rouler mon prochain sans me faire rouler moi-même”. La culture issue de mai 68 faite de relativisme, d’égoïsme et d’hédonisme a remplacé la culture chrétienne altruiste “Aime ton prochain comme toi-même” et “Aide-toi et le ciel t’aidera” et l’ordre moral.

    Il est à craindre qu’il faille attendre que cette génération pourrie ne soit remplacée par une autre (ou soit asservie par une autre culture comme l’Islam par exemple) pour que l’ordre moral et naturel soit rétabli.

    Bien à vous,

    Jean-Louis Couvreur.

  • André Raeymaeker-Charpentier

    Cher Pascal,

    La crise que nous vivons est intellectuelle, avant même d’être morale.
    En effet, la morale n’est que l’application d’une raison supérieure à toute l’activité humaine.
    L’Europe unie a bel et bien existé, mais dans le passé, par exemple sous l’Empire romain et au moyen âge, époques dites “obscures” par les ” Lumières” actuelles, mais où régnait un certain idéal de justice.
    Et il ne nous en reste plus que l’Euro-punie…Punie pour son orgueil, ses lâchetés et ses reniements.
    Mais on n’enseigne plus l’histoire,comme si les effets que nous avons sous les yeux n’avaient pas des causes lointaines.
    Les foules , intoxiquées par des hordes de journalistes stipendiés, croient que tout ce désordre date de la dernière pluie.
    En réalité, ses causes ont été évoquées non seulement par Huxley et Orwell, mais avant tout, et avec la plus grande précision, par René Guénon , dans sa “Crise du monde moderne”, qui ne date pas d’hier.
    Nous nous sommes donc permis d” “actualiser” – très modestement –
    ce livre irréfutable-dans “Etre et Avoir”, qu’on pourra trouver, entre autres ouvrages “passéistes”, sur le site Web (dont seul le titre est en latin…)

    En attendant, méditez ces propos de deux esprits lucides qui n’étaient pourtant que des romanciers. :

    – “ll y a deux histoires : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des événements.”
 (Honoré de Balzac )

    “Comment comprendre un monde d’où l’on a chassé tous les éléments de comparaison ? “(Evelyn Waugh)

    Bien à vous

  • Yolande de Meester

    Il faut rétablir,l’esprit,la morale et la conscience ,ces sages conseils sont de Vaclav Havel.

  • Damien de Failly

    Votre article est très bien. La cris actuelle est morale. Les plus sensés le disent. Je constae que l’usage de l’argent va au-delà de ce pourquoi il a été créé. L’argent aujourd’hui sert à atteindre des objectifs peu louables. Mais voilà, tout est justifiable aujourd’hui. Le mafieu dans son trafic, comme le brave éleveur de brebis. Il n’y a plus de coupable sauf celui qui se fait prendre. Il n’y a plus de peines parce qu’il y a des justifications. J’achève mon parcours terrestre, j’en ai plus pour de longues années. Attention je vais bien, n’anticipons pas. Je ne verrai pas de changement vers un mieux, seulemnt un gigantesque échec économique, politique, diplomatrique, social, moral et même religieux.
    Je crois que la chute d’un météorite comme il y a 60 millions d’années ferait du bien à l’humanité.

  • Françoise Le Borne

    La déliquescence morale est heureusement moins généralisée que ne le laisse croire la presse à sensation, et particulièrement en Belgique, où le bon sens fait généralement prévaloir le consensus et la convivialité sur les rapports oppressifs, conflictuels ou malhonnêtes. D’où notre excellente santé mentale, et nos performances supérieures à la moyenne européenne.

    Mais la gangrène nous guette, surtout au niveau de l’éducation (ou de ce qui tient lieu) où les droits occultent les devoirs, où la gestion en bon père de famille s’efface devant le caprice du moment et où la responsabilité individuelle s’efface devant la mansuétude étatique. Notre univers ultra-social devient une pépinière de “pauvres”, de mères célibataires d’enfants aux pères inconnus, de prodigues surdendettés, d’analphabètes volontaires et fiers de l’être, et qui exigent réparation pour leurs propres manquements.

    Et comme le spectacle est insoutenable et sans issue, on préfère se focaliser sur les moeurs d’une banque (parmi 1.000) ou traiter d’inciviques ceux qui cherchent à échapper aux prédations outrancières destinées à poursuivre la déresponsabilisation des citoyens.

    Qui songe encore à gagner son pain à la sueur de son front ?

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